LE PIED - Fonctions, affections, défauts...
interview du Dr Lamolle par Alain Willemart
Le pied du cheval est un chef-d'oeuvre
de la nature.
Imaginez-vous avec, à vos pieds, des chaussures exactement
adaptées à votre taille et à votre morphologie;
à la fois confortables et offrant un maintien idéal,
et qu'il ne faudrait
jamais remplacer car elles se régénéreraient
d'elles-mêmes à mesure que vous les useriez....
D'accord, cela compliquerait grandement
l'adaptation à la mode du millésime, mais admettez
tout de même qu'un tel soulier vous
ôterait bien des soucis, à défaut de s'ôter
lui-même.
Pourtant, des soucis, le pied du cheval peut aussi en
connaître, mais ce n'est pas sa faute: le responsable,
c'est nous !
Le pied du cheval a subi, au cours
de ses soixante millions d'années d'existence, de multiples
évolutions et adaptations pour devenir ce que nous connaissons:
un sabot à la fois robuste et sensible, souple
et stable, adhérent et rapide.
Cette évolution a été dictée par
la taille et le poids sans cesse croissants du cheval au cours
de son évolution et par le biotope; le cheval ayant peu
à peu délaissé les forêts pour les
vastes plaines d'herbage, où la vitesse, l'endurance
et la stabilité primaient sur l'agilité en terrain
difficile.
Lorsque l'on choisit un cheval, on a quelquefois tendance à
négliger l'examen du pied au bénéfice du
modèle ou des allures.
Or, "pas de pied, pas de cheval" dit le diction.
C'est d'autant plus vrai pour le cheval d'extérieur,
au parcours semé d'embûches, contrairement aux
pistes des manèges où certains pieds défectueux
ne prêteront pas nécessairement à conséquence.
Il est donc utile de procéder à un examen attentif
des pieds, non seulement à l'achat, mais également
tout au long de la vie du cheval.
Le pied est composé de plusieurs
tissus de différentes natures: des os, des ligaments,
des tendons, des cartilages, de la graisse, des vaisseaux sanguins,
de la chair et de la corne.
La structure des ligaments maintient
ensemble la structure osseuse composée de la troisième
phalange, de la deuxième phalange et l'os naviculaire.
Ces os correspondent aux bouts de nos doigts, le cheval
n'en possédant toutefois qu'un par membre (il en possédait
encore quatre il y a soixante millions d'années).
Les tendons relient les différents
os aux muscles extenseurs et fléchisseurs, donnant au
pied sa mobilité.
Deux structures cartilagineuses
appelées fibrocartilages, en forme de demi-lune et situées
dans le prolongement des "ailes" de la 3ème phalange,
interviennent dans l'amortissement du pied en décomposant
la force de choc lors du poser, visant à atténuer
les pressions dans le membre et contre les parois du sabot.
Autour des os, des ligaments, des tendons et des cartilages
se trouve le pied de chair renfermant un labyrinthe d'artères,
de veines et de capillaires, chargées 'irriguer le pied,
de l'alimenter en oxygène
Le pied de chair se trouve en lien
direct avec la production cornée, constituée de
poils Eh oui!
La corne est, en fait, constituée de poils fixés
entre eux par de la kératine, substance donnant à
la corne sa rigidité tout en conférant mobilité
et souplesse à la muraille.
Un coussinet plantaire, principalement constitué
de tissus mous et de graisse, se trouve entre les fibrocartilages,
sous les phalanges et au dessus de la fourchette.
On peut le sentir facilement en appuyant les pouces dans la
zone de la fourchette et des glomes.
Son rôle est d'amortir les chocs lors du poser du pied.
La boîte cornée enveloppe
le tout.
Elle joue plusieurs grands rôles: protection du pied,
décomposition des forces et vascularisation.
Elle doit être suffisamment rigide pour ne pas subir d'écrasement
excessif à chaque pas et bien protéger le pied
de chair. Cette rigidité est également indispensable
pour décomposer les forces d'amortissement lorsque le
cheval pose le pied sur le sol (ce qui peut représenter
plusieurs centaines de kilos pour un seul membre).
Elle doit être suffisamment souple au niveau des talons
et de la fourchette pour s'écraser et s'écarter
latéralement, permettant au coussinet plantaire de jouer
son rôle amortisseur et provoquant en même temps
un pompage au niveau du pied de chair, permettant au sang de
circuler dans le pied. C'est notamment pour permettre cet écartement
des talons que les clous tiennent le fer principalement dans
la partie antérieure du pied, laissant une certaine liberté
de mouvements aux talons.
L'enveloppe cornée est constituée
de poils, collés les uns aux autres par la kératine,
et qui se développent de haut en bas, à la verticale.
La muraille pousse à partir de la couronne du pied; la
sole et la fourchette, à partir de la base du pied de
chair
La jonction entre sole et muraille est constituée par
la "ligne blanche", zone où la corne est particulièrement
dense et compacte.
C'est là que le maréchal place les clous. En arrière
de cette zone, dans la sole, le clou perforerait les tissus
vifs ; en avant de cette zone, dans la muraille, les fibres
insuffisamment denses seraient vite déchirées
par le clou.
Les affections du pied
Les atteintes physiques
Ce sont les agressions extérieures de la boîte
cornée: coups, cailloux, clou de rue, enclouure par le
maréchal, etc.
Ces atteintes donnent lieu, soit à une bleime (hématome)
localisable visuellement quand la corne est claire, soit,
s'il y a une plaie, fût elle microscopique, elles donnent
lieu à un abcès dû à l'infiltration
de bactéries. En cas d'abcès, le cheval
refuse de poser le pied par terre.
On pense alors souvent à une fracture, mais 9 fois sur
10, il s'agit d'une bleime.
Le cheval ne peut malheureusement pas retirer son sabot, comme
nous le ferions avec notre chaussure si un caillou s'y trouvait
prisonnier.
L'intensité des effets de toutes ces agressions variera
en fonction de la qualité de la corne.
On dit souvent que la corne sombre est plus résistante
que la blanche.
Mais il y a de nombreuses exceptions, notamment l'arabe, qui
a souvent des pieds blancs, pourtant excellents.
Les seimes
C'est le fendillement, vers le haut ou vers le bas, de la muraille.
Du bas vers le haut, c'est généralement dû
à une agression extérieure, ou à
un mauvais brochage du clou par le maréchal (placé
en muraille ), ou parce que le fer est mal adapté.
Certaines carences alimentaires rendent davantage la corne sujette
à ces fendillements.
La vitamine Biotine, dans l'alimentation, est administrée
notamment pour renforcer la corne.
Du haut vers le bas, les seimes sont généralement
dues à une blessure dans la région de la couronne
où se trouve la matrice cutidurale, où naît
l'ongle.
A cet endroit, la matrice ne fonctionnera plus correctement
et une seime se formera. Des seimes peuvent aussi apparaître
en quartier/talons, dues à une mauvaise conformation
du pied ou à un ferrage inadapté. Le pied tolère
alors un jeu trop important des talons.
La corne plie sans cesse et se fragilise, comme du carton que
l'on plierait 200 fois au même endroit.
Les Maladies
Le degré d'hydratation de la corne influe beaucoup sur
la santé du pied. Pas assez humide, elle se fendille,
se craquelle.
Trop humide, elle se ramollit et pourrit.
En box, certaines litières, comme les copeaux, favorisent
cet excès d'humidité.
Mêlés à l'ammoniaque des urines, cela devient
agressif pour la corne.
Il faut donc nettoyer régulièrement le box, et
surtout, sortir régulièrement le cheval pour le
travailler et soigner ses pieds.
"White line disease"
Maladie méconnue, la "White line disease" est due
à un champignon du genre teigne, qui ronge le sabot
et qui peut provoquer la chute de toute la boite cornée.
Les symptômes sont l'apparition d'une abondante
poudre blanche à la base du pied, qu'il ne faut
évidement pas confondre avec la peau morte tombant naturellement
lorsque l'on cure le pied ; le cheval boîte, des suintements
apparaissent au bourrelet.
La contagion s'opère notamment par les instruments du
maréchal dont les outils servent de pied en pied, de
cheval en cheval.
Voilà pourquoi on recommande, dans ce cas, la stérilisation
du matériel avant chaque ferrage.
Les défauts d' aplombs
Une règle d'or: on ne plie pas un vieux tronc.
Vouloir rectifier les aplombs d'un cheval adulte expose celui-ci
à de sérieux ennuis au niveau des bords
articulaires.
Les articulations, même mal formées, sont prévues
pour fonctionner sous certains angles, qui, s'ils sont modifiés,
provoquent des dégâts.
Les pressions ne sont plus réparties sur une surface,
mais .. sur un point précis, occasionnant une usure prématurée.
Le cheval est né avec ces défauts esthétiques,
il faut faire avec.
Généralement, lorsque le cheval pose son pied
à plat, quel que soit le chemin parcouru entre deux "posers",
ses défauts d'aplombs ne prêteront pas trop à
conséquence.
Fourbure
La fourbure est une congestion inflammatoire (excès de
sang) dans le pied.
Ce sang stagne, le pied n'est donc plus oxygéné
convenablement, ce qui provoque une nécrose (mort des
cellules) dans les tissus.
Le sang se loge sous la fourchette, provoquant le basculement
de la troisième phalange vers l'avant, situation
particulièrement douloureuse due à la compression
de la chair contre les parois du sabot, surtout à l'avant.
Elle peut être causée par une mauvaise alimentation
ou par un travail et une fatigue excessifs. En endurance de
haut niveau, on voit souvent des chevaux ayant atteint un stade
de fatigue tel qu'ils sont à la limite de la fourbure:
la couronne devient molle, gorgée de liquide, le pied
est très chaud et il boite un peu ou marche irrégulièrement.
C'est le rôle des vétérinaires de veiller
à détecter cela en cours d'épreuve...
Cavaliers fous, attention aux excès !
Syndrome
naviculaire
On l'appelle "syndrome" et non "maladie" car d'un point de vue
strictement scientifique, le problème n'est pas encore
bien circonscrit. L'une des "causes", mais ce n'est peut-être
qu'un symptôme, est la décalcification du tissu
osseux au niveau des points d'entrée des vaisseaux sanguins
qui irriguent l'os naviculaire. A ces endroits, l'os perd de
sa densité, se fragilise, et est écrasé
par le tendon perforant qui passe derrière lui et appuie
dessus avec force.
On suppose que c'est alors l'os lui-même qui est douloureux.
Au stade suivant, l'os perd de petits éclats qui agressent
toute l'articulation et/ou le tendon.
Comment garder
de bons pieds ?
Chez le cheval,
qu'est-ce qu'un bon pied ?
Interview de Gabriel Blairon, maréchal- ferrant, par
Alain Willemart
Le bon pied est un pied pas trop
large, car trop large il est fragile, et c'est un pied pas trop
droit non plus, l'idéal étant, de profil, un angle
d'inclinaison de 45 degrés.
Trop droit ( droit jointé), le pied rend le cheval inconfortable
pour le cavalier.
Le cheval est mal à l'aise aussi car le rôle d'amortisseur
de la corne et de l'inclinaison du paturon s'estompent et les
membres encaissent alors tous les chocs.
Trop incliné, le pied travaille mal car les talons disparaissent,
et les tendons se fatiguent à frotter exagérément
contre le boulet.
Lorsque le pied dépasse les 45°, il devient plat
en dessous car la sole se rapproche du sol. C'est un mauvais
pied car la
corne ne travaille pas dans sa fibre, mais à la flexion
et à l'arrachement.
Autre mauvais pied, c'est celui
qui n'arrive pas à se "renourrir" normalement. La conséquence
est une mauvaise "soudure" entre la sole et la muraille car
la sole devient convexe. Les inconvénients sont les mêmes
qu'avec les pieds plats.
L'autre mauvais pied est celui
dont la muraille est feuilletée, presque comme du carton.
Résultat: les impuretés s'immiscent entre les
couches de corneque forent la muraille et remontent très
haut, car le travail du pied pompe tout cela vers le haut.
L'évasement du pied (vu de face) dépend de la
forme de la troisième phalange, acquise par la
naissance et qui ne peut être modifiée. La plupart
des pur-sang anglais ont ainsi des pieds plats, larges,
évasés, ce qui n' est pas une tare en soi, mais
la muraille n'a pas de hauteur. Certains trotteurs ont, à
l'inverse, une haute muraille (jusqu'à 12-15 cm),
avec un bon angle. Le mieux étant l'intermédiaire
: pas trop droit, pas trop évasé, bon angle, hauteur
correcte.
Y a-t-il un pied
pour chaque usage, chaque discipline, ou bien est-ce qu'un bon
pied est bon pour tous les services ?
Pour l'extérieur, il faut absolument un bon pied robuste,
ni trop large ni trop plat, avec une muraille suffisamment haute.
En dressage, on essaye toujours d'avoir un pied plus long pour
obtenir des allures plus amples, mais comme ils travaillent
dans le sable, ils sont moins sujets à souffrir ou à
se blesser. On laisse donc un peu pousser la corne. En obstacle,
le mieux est un pied large aux antérieurs, car c'est
de là que le cheval part et surtout qu'il se reçoit
( les membres antérieurs supportant deux tiers du poids
du cheval). A l'arrière, on préférera un
pied droit et coupé très court pour éviter
qu'il forge, c'est-à-dire qu'il touche ses antérieurs
avec ses postérieurs, situation très fréquente
en saut. .
La ferrure est
souvent considérée comme un mal nécessaire.
Etes-vous d'accord ?
La ferrure du pied est certainement la pire des choses qu'on
ait pu faire au cheval. Mais c'est un mal nécessaire
a cause du terrain ..tarmac, macadam, cailloux... sont autant
d'agressions nécessitant la ferrure. .
Outre le ferrage
à chaud et à froid, existe- t-il différentes
façons de ferrer ?
On peut ferrer à l'anglaise ou à la française,
ce qui ne change strictement rien à la technique au niveau
du pied lui-même, mais à l'anglaise, on travaille
seul, à la française, on travaille à deux,
l'un tenant le pied tandis que l'autre travaille dessus. Mine
de rien, C'est assez différent comme travail, puisqu'on
voit le pied à l'envers selon l'une ou l' autre école.
Quels conseils
généraux donneriez- vous aux propriétaires
de chevaux pour que leur cheval fasse de vieux os et de vieux
pieds ?
D' abord, il faut éviter les intervalles trop longs entre
les ferrages, ou alors ne pas les ferrer du tout et le faire
travailler
déferré tant que c'est possible. Sinon, la longévité
du cheval dépend essentiellement de la régularité
de son travail. pour
vivre vieux, le cheval doit travailler, sans forcer, bien entendu.
Celui qui ne fait rien s'encroûte, son coeur s'enrobe,
ses
muscles s'atrophient. Un cheval qui travaille tous les jours
vit plus vieux qu'un cheval qui travaille deux ou trois fois
par an.
Du point de vue
du maréchal, qu'est- ce que les propriétaires
pourraient facilement faire eux-mêmes pour l'entretien
des pieds, mais qu'ils oublient souvent ?
La propreté. On l'ignore souvent, mais curer le pieds
ne suffit pas, il faut aussi les laver à l'eau, pas juste
au jet, mais
avec une éponge. Ensuite, ne pas sécher le pied,
mais "enfermer" l'eau avec de la graisse. .
Justement : faut-il
graisser les pieds ? Si oui, quand et sur quelle partie ?
Là aussi, il faut rappeler que la graisse ne pénètre
pas dans la corne, mais l'eau oui, par capillarité. La
souplesse de la
corne vient donc de l' eau et non de la graisse. Mais le pied
transpire, l'eau s'évapore et le pied devient sec. Il
faut donc
l'humidifier souvent et le graisser ensuite sur la sole et la
muraille, pour empêcher autant que possible l'eau de quitter
le
pied. Dans la pâture, une zone humide est toujours une
bonne chose, à condition que ce ne soit pas un marécage-
. En
box, on cure, on douche, on lave, . puis on graisse.
Certaines graisses
sont dite "nutritives". Que faut-il en penser ?
Elles existent, mais il convient de les appliquer au niveau
de la couronne, c' est-à-dire là où naît
la corne, donc là où
commence le pied. Une fois formée, la corne ne peut plus
être modifiée dans sa composition et elle reste
identique
durant toute sa durée de vie, jusqu'au bout du pied,
lorsque le maréchal-ferrant finit par la couper. .
Quel intervalle
moyen préconisez vous entre deux ferrures ?
Huit semaines. Mais attention, ce délai varie d'un cheval
à l'autre. Certains, notamment les chevaux âgés,
ont des pieds
qui poussent si lentement qu'on les pare tous les six mois.
C' est au propriétaire d'avoir l'oeil. Il est tout aussi
insensé
d'appeler le maréchal ferrant sur la seule base de la
consultation du calendrier: il faut un minimum de repousse de
la
corne pour pouvoir mettre de nouveaux clous. .Quand peut-on
dire qu'il faut appeler le maréchal ? Quand on ne voit
plus le fer, parce que la corne -et surtout la muraille -poussent
par dessus le fer. A ce stade, le fer, s'il est toujours en
place, exerce à chaque pas une pression sur la muraille
et tend à l'écarter de la sole, nuisant à
la soudure sole- muraille.
Au fond, pourquoi
le fer trop vieux, mais pas forcément usé, tombe-t-il
?
u ferrage, les clous sont enfoncés légèrement
en oblique, vers l'intérieur. Comme le sabot pousse en
s'évasant et que le fer, lui, ne l' élargit pas,
les clous sont repoussés vers l' extérieur jusqu'à
la verticale. Les clous sont alors trop longs, la fixation est
donc moins bonne, le fer bouge, les rivets son malmenés
et il finit par tomber. .
Réserver
les allures rapides aux terrains meubles, est-ce une bonne manière
de garantir une bonne longévité des pieds du cheval
?
Tout dépend du cheval. Avec des pieds plats, il faut
être prudent dans les chemins caillouteux car la sole
et la fourchette peuvent prendre des mauvais coups. Ou bien,
il faut mettre une plaque ou une rive interne pour protéger
le bord de la sole (voir plus loin). Cela dit, plus le pied
est suscité, mieux il vit, et dans cette optique, les
cailloux ne sont pas si mauvais que ça. En vacances,
lorsque l'on marche sur une plage de galets, on garde ses chaussures
le premier jour car les galets sont douloureux pour les pieds.
Les jours suivants, on y marche en sandalettes, et à
la fin on y court pieds nus car les pieds se sont habitués.
Pour les pieds des chevaux, c'est la même chose.
Anciennement, les chevaux de fiacres de Paris dont les pieds
ferrés s'encastelaient (se refermaient ), étaient
envoyés en province pour y travailler quelques mois,
non ferrés, aux champs ou sur les chantiers routiers.
Ils se refaisaient une santé: leur pieds nus se " rouvraient"
et on pouvait les renvoyer à Paris.
Que pensez-vous
des propriétaires qui ferrent leurs chevaux eux-mêmes
?
Je ne suis pas contre. Pour la plupart, il ont regardé
faire attentivement avant de se lancer, et ce sont souvent des
gens débrouillards. Et puis, ils ont l' avantage de mieux
connaître le cheval que le maréchal, et ils disposent
généralement de plus de temps et de patience.
Or; si l' on ferre son cheval à soi, c' est pour qu'il
soit convenablement chaussé. Je vois donc mal quelqu'un
qui n'y connaîtrait rien, se risquer à ferrer lui-même.
Bien sûr, s'il ne vise que l' économie de la main
d'oeuvre et pas le savoir-faire, l'économie ne durera
pas longtemps...
Que pensez-vous
des outils de dépannage "miracle" en maréchalerie
: multifonctions, 3 en 1,5en 1, etc. ?
Je n'ai jamais su m'en servir. Exception faite de la pince à
riveter qui est fantastique, mais il faut savoir s'en servir.
Plusieurs de mes clients en ont achetée .. une, espérant
pouvoir intervenir eux- mêmes sur un fer qui bouge, tous
veulent me la revendre, car il ne parviennent pas à s'en
servir. Elle m'a été recommandée par les
vétérinaires pour des
chevaux dont les pieds ne supportent pas les coups de marteau,
notamment en cas de fourbure.
Ferrage à
froid, ferrage à chaud : que préférez-vous
?
Je pratique les deux. A chaud, on a l'avantage de réellement
cautériser le pied, notamment au niveau de la soudure
entre muraille et sole, ce qui est avantageux pour les chevaux
qui ont une faiblesse dans cette zone ou tout simplement
de mauvais pieds. La corne est ici comparable au
gazon d'un " green" de golf ..la tondeuse rotative fauche et
hache le
brin d'herbe qui se terminera par une petite floche, qui séchera
sous le soleil et formera des zones roussies indésirables.
Avec une tondeuse à cylindre, le brin est pincé
entre deux lames, comme par une paire ciseaux, et ensuite, l'herbe
ne "
pleure" pas et le green est bien vert. Le problème,
avec les chevaux qui ont du sang, c'est qu'ils doivent parfois
être
habitués très jeunes à la fumée
dégagée par la fonte de la corne lors de l'application
du fer chaud. Non accoutumés, la
fumée les effraye et le travail devient vraiment dangereux
pour le maréchal. Sans ferrage à chaud, il faut
soigner au
maximum le parage et l'ajustage du fer et l'on obtient aussi
d'excellents résultats.
Certains mauvais
pieds peuvent être corrigés par le maréchal-ferrant.
Jusqu'où peut-on aller ?
Je vais retourner le problème: on peut corriger les aplombs
un cheval quand on est chez le vendeur.
Chez l' acheteur, ... on peut corriger un petit temps, mais
ça va revenir. Il n'y a pas de miracle, surtout
chez le cheval
adulte. Quand le cheval est poulain et qu'il grandit encore,
certains défauts peuvent être corrigés.
Mais de toute
manière, il ne faut jamais aller trop loin, car on force
sur l' organisme et on l'use par ailleurs. Voilà pour
les aplombs.
Maintenant, on peut parfois corriger un cheval qui se touche
ou qui forge. Mais on agit plutôt sur le symptôme,
pas sur
les aplombs.
L 'hipposandale
se développe beaucoup. Qu'en pensez- vous ?
Elle se justifie surtout en équitation sportive, notamment
en endurance, lorsque le cheval perd un fer. A ce stade, plutôt
que de referrer à l'étape, quand le pied est chaud
du fait d'avoir un peu forcé (sans fer, il a été
fort suscité), on chausse
une hipposandale en attendant que ça se refroidisse pour
vraiment referrer.
On prête
aussi à l 'hipposandale des vertus que le fer n'a pas.
Pourquoi ne la voit-on pas plus souvent en remplacement pur
et simple du fer ?
Sans doute en raison du prix: à ± 1.700 BEF l'unité,
ça fait cher le jeu de quatre, surtout si, entre-temps,
il en perd une en cours de route ou au fond d'un bourbier. Cela
dit, ça ne s'use pas trop vite, d'autant plus que l'on
peut les retirer quand le terrain ne l'impose pas. Mais il faut,
de toute façon, les retirer une fois le cheval au box,
car le pied n'y respire pas et est quand même comprimé
d'avant en arrière; et il faut les remettre chaque fois
que l'on part...
Autre "mode" :
le travail modéré du cheval non ferré.
Qu'en pensez-vous ?
C' est impeccable comme technique, mais certains pieds y sont
plus adaptés que d'autres. Je connais des étalons
Lusitaniens qui travaillent tout le temps pieds nus, même
en endurance, sur les mauvais chemins, et ça marche!
Mais, pas question de demander cela à un demi-sang belge
ou un pur-sang anglais dont les pieds, dans nos pâturages
doux, sont devenus larges, cassants et sensibles. Mais avec
des races à bons pieds, comme l'arabe par exemple, il
suffit de gérer l'usure, de parer un peu au besoin, et
c'est tout. Du moins tant que l'on travaille modérément.
Le pied déferré
d'un cheval qui a toujours été ferré est-il
aussi résistant qu'un pied habitué à cet
état ?
Un pied sain reste un pied sain. La ferrure ne l'affaiblit pas.
Le problème, c'est la mémoire du cheval, car déferré,
il
sentira des choses qu'il n'a pas l'habitude de sentir, car le
fer l'a longtemps privé de ces sensations là.
Il sera donc un
peu mal à l' aise, mais c'est surtout dans sa tête
que cela se passera, une accoutumance progressive est donc nécessaire.
L 'hiver approche
à grands pas, que conseillez vous, du point de vue ferrure,
sur la neige ou le verglas ?
Dans la neige, il faut éviter l'accumulation de neige
dans la partie concave du pied Cette neige finit par former
un cône instable sous le pied, risquant de faire trébucher
le cheval. Pour éviter cela, on place un amortisseur
(bourrelet de
caoutchouc entre le fer et le pied), ou une plaque, ou encore,
on peut graisser abondamment la sole et la fourchette pour empêcher
la neige de coller.
Pour le verglas: pointes de tungstène (petits cônes
dépassant d'environ 1,5 mm), ou éventuellement
mordax (bouchons
de ± l cm d'épaisseur placés dans les éponges
du fer), à condition de les ôter (ils se dévissent)
dès que les conditions ne le nécessitent plus.
Les mordax sont ils néfastes
?
Oui, sur terrain dur. Les mordax étant des bouchons dépassant
largement sous le fer, le pied est bloqué dès
que le pied touche le sol, ce qui provoque un choc dans la ligne
osseuse et dans les tendons. Rares sont les chevaux qui marchent
naturellement en posant littéralement leurs pieds,. la
plupart glissent en posant, c'est un mouvement naturel que le
mordax stoppe net. Ce n'est pas bon. De plus, étant à
l'arrière, ils surélèvent les talons, et
toute l' assise se fait en pince et en talons, la pince du fer
s'usant prématurément. Je ne mets de mordax qu'aux
chevaux d'attelage qui doivent vraiment retenir une charge en
descente.
Quelles techniques
nouvelles estimez vous intéressantes ces derniers temps
?
Certains alliages permettent d'obtenir des fers qui glissent
moins, qui sont plus légers (aluminium, titane, etc.),
voire
même en matériau non métallique (résine
), qui sont intéressants en compétition. Mais
pour un ferrage courant, ils sont
coûteux (± 3.000 BEF de marchandises + main d'oeuvre)
et ils s'usent plus vite que les fers classiques. De plus, les
fers fabriqués à l'étranger sont conçus
pour le marché local (États-Unis, Italie), et
ne correspondent pas au pieds de nos chevaux. Ces fers sont
ovales ou en pointe (cfr. Quarter Horse) quand chez nous les
pieds sont plutôt ronds. Il faut donc travailler le fer
pour l'adapter; ce que l'alliage accepte généralement
mal.. il risque de casser; soit sur l'enclume, soit quelques
jours plus tard, sur le pied.
Que pensez- vous
des plaques de protection en silicone ?
C'est un excellent moyen de protéger une sole hypersensibilisée,
suite à une affection quelconque. Il s'agit de placer
une plaque en PVC souple, couvrant toute la face inférieure
du pied, entre le fer et la corne, et qui amortit les chocs.
Dans l'espace vide ainsi obtenu, on injecte un silicone spécial
qui protège la sole et la fourchette des agressions.
On n'est pas obligé de le laisser toute la durée
de vie du ferrage ..on peut en découper la partie intérieure,
par exemple après une course en terrain cassant, et dégager
fourchette et sole en laissant un pourtour qui joue alors le
rôle d'amortisseur classique, tout en laissant le pied
respirer normalement .
Merci à
Gabriel Blairon pour sa disponibilité lors de cette interview
En travaux : illustrations en ligne
très bientôt
Ces deux articles sont extraits
de la revue belge HippoNews
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